@Alaois Blackwood & Agatha Maskelyne

Un flirt avec l'infini, une ballade dans l'inachevé, une errance dans le vide.

Agatha l'avait appris avec le temps, et sa mère elle-même avait pris soin de le lui enseigner: on ne jugeait pas une personne uniquement sur la base de sa réputation. Bien sûr, celle-ci pouvait et même devait être un indicateur à prendre en compte, mais ce n'était aucunement suffisant pour en tirer des conclusions définitives. Pourtant, lorsque ce matin-là au petit-déjeuner, sa tante avait mentionné Alaois Blackwood, la jeune femme s'était insurgée. « C'est une plaisanterie j'espère ? » Ce nom là, elle avait eu quelques occasions de l'entendre, associé à certains bruits au parfum de scandale et d'actes inappropriés. Peut-être aurait-elle été plus disposée à lui donner une chance, si tout ceci ne lui avait que par trop rappelé son ancien fiancé. Lui aussi présentait bien, semblait charmant, avec un sourire à faire fondre quiconque le croisait. Il avait de bonnes manières, semblait pourvu de sérieux et d'ambition. Ce n'était que plus tard qu'avaient été découverts ses travers, heureusement assez tôt pour tout annuler et empêcher la jeune Maskelyne de se trouver dans une situation désastreuse.

Alors quand on lui parlait d'Alaois Blackwood, elle ne pouvait pas ne pas faire le rapprochement entre ces deux hommes. L'expérience l'avait rendue plus avisée, mais également plus méfiante et elle avait bien du mal à croire que sa tante souhaitait la voir s'associer à un homme à la réputation relativement douteuse, ce qu'elle lui dit sans détour d'ailleurs. Mais cette dernière ne sembla pas l'entendre de cette oreille.  « Allons bon Agatha, apprenez à connaitre ce jeune homme avant d'être si sévère ! Qui plus est, la famille est des plus charmantes. » Le ton avait fini par monter, jusqu'à ce que Mary Barrington décide qu'elle en avait eu assez. « Croyez-vous sincèrement être en mesure de pouvoir jouer les difficiles ? Peut-être avez-vous un peu de fortune, mais vous êtes dépourvue de titre, n'êtes plus de prime jeunesse et votre... état pourrait en dissuader plus d’un. » Le regard appuyé qu'elle lança en direction de la jambe de sa nièce fut suffisant pour que cette dernière décide de quitter la salle à manger avec fracas. « Et n'imaginez pas que vos mouvements d'humeur soient charmants, car ce n'est aucunement le cas ! » Lui hurla-t-elle avant que la jeune femme disparaisse de son champ de vision.

Aggie n'avait donc pas eu le choix. Sa tante avait tenu à superviser l'entièreté des préparatifs, décidée à ce que sa nièce apparaisse sous son meilleur jour. Ses boucles avaient été si entortillées qu'elle en avait mal au crâne et elle se sentait particulièrement engoncée dans sa robe, trop ajustée sur haut du corps sous prétexte que « Vos épaules sont trop masculines, elles paraitront plus fines de cette façon ».

Le trajet ajouta à la torture alors que Mrs Barrington ne cessait d’abreuver sa nièce de diverses recommandations que celle-ci n’écoutait pas vraiment. Malgré elle, une forme d’inquiétude naissait. Et si réellement le fils Blackwood manifestait l’intention de l’épouser ? Elle n’en avait pas la plus petite envie, mais pourrait-elle seulement refuser ? Sa tante avait raison, ses perspectives étaient minces et il n’était pas dit qu’un autre gentleman fasse sa demande avant la fin de la saison. L’année suivante, elle atteindrait ses vingt-six printemps et il serait trop tard, si ce n’était pas déjà le cas.


Le thé était aussi pénible que prévu. En vérité, Agatha n’avait que peu de choses à dire, passées les questions de Lady Blackwood, auxquelles elle avait répondu avant que les deux femmes se mettent à discuter de façon animée de sujets et d’autres. L’attitude du jeune homme lui posait question, tant il semblait faire peu d’efforts pour maintenir une conversation. Non pas qu’elle ait grandement essayé non plus. C’était tout de même suffisamment étonnant pour l’intriguer, et fatiguée des bavardages incessants elle se leva à son tour, munie de sa tasse de thé pour marcher un peu dans la pièce. Tout en observant distraitement les aménagements, puis la vue de la fenêtre, elle se retrouva à proximité d’Alaois, qui ne tarda guère à lui adresser la parole. La suavité excessive de sa voix ne lui échappa pas et elle utilisa la même pour lui répondre. « Tout le plaisir est pour moi. » Elle sirota une gorgée de thé avant de reprendre. « Le temps est absolument splendide pour la saison, ne trouvez-vous pas ? Moi qui croyais qu’il pleuvait sans cesse en Angleterre ! » Son ton aimable sonnait horriblement faux et elle en avait parfaitement conscience. A voir s’il s’en rendrait compte, les hommes de cette espèce là étaient souvent prompts à croire qu’on ne pouvait que leur manifester de l’intérêt.