"La poésie date d'aujourd'hui."

Si Londres pouvait avoir le charme et l'avantage de te faire voir d'autres visages que ceux que tu fréquentais à tire larigot, cela comportait tout de même quelques inconvénients. La saison et la présence de l'intégralité de la noblesse et du gratin important présents dans le giron de la famille royale faisait que ton père, déjà très strict à l'accoutumé, se trouvait être plus à cheval que d'ordinaire quant au fait d'avoir un comportement irréprochable. Notamment et surtout lors des différents événements mondains. Et devoir paraître sobre, cultivé, bien élevé, présentable, somme toute, tout en enterrant bien comme il faut tes piques et ton sarcasme pouvant créer un incident quelconque, tu trouvais ça d'un ennui, mais d'un ennui!
Le pire, dans tout ça, c'est que plus le baron de Dufferin & Claneboye serrait la vice, plus l'étau familial composé par ta fratrie semblait lui aussi se refermer autour de toit. Comme si, à l'image paternelle, tes frères et sœurs s'étaient, plus que de coutume, passés le mot pour te faire rentrer dans les clous. Ne pouvaient-ils donc pas, à l'image de Blodwyn et Caem, te laisser souffler?
Que importance, si tu te mettais encore plus dans le pétrin qu'en dehors de la saison?
Société définitivement trop étriqué pour toi. A moins que ça ne soit trop qui pouvait passer pour être trop déluré pour ce monde?
Trop de questions existentielles prêtes à te donner une migraine terrible en cette soirée où tu avais accepté d'accompagner le dénommé Caem dans l'un de ces nombreux salons littéraires comme l'on pouvait en trouver beaucoup dans la capitale. C'était le benjamin de la fratrie qui s'intéressait à ce genre de chose: et dire que ton père te reprochait d'avoir une mauvaise influence sur ce dernier! Pour le coup, l'on pouvait se demander lequel des deux influençaient plus l'autre, même si, dans ce sens-là, tu serais prêt à le reconnaître, si tu n'étais pas de si mauvaise fois...

"Tu constateras que je n'ai rien dit. Je n'en pense pas moins, mais je n'ai rien dit." Que tu coules un regard sarcastique vers ton cadet qui te regardait comme s'il s'attendait à ce que tu fasses l'une de ces remarques déplaisantes dont tu pouvais avoir le secret.
Il faut dire que la poétesse qui venait de monopoliser l'attention et de quitter le centre de la pièce sous les applaudissements de l'assemblée venait de disclamer un poème relativement engagé sur les questions politiques. Pour toi qui trouvait que sauf si elle y était réellement obligée, une femme devait rester à sa place et ne pas se mêler de politique, tu trouvais clairement ce poème osé! Ta joueuse dirait que, plus qu'une certaine misogynie sous-jacente de ta part, c'était aussi et surtout que tu ne voyais aucun intérêt d'aucune sorte pour la politique, donc que d'autres puissent s'y intéresser, cela pouvait te paraître aberrent! "Je m'en vais tenter de trouver de quoi remplir encore mon verre: je te ramène quelque chose?" Que tu reprends à l'intention de ton cadet.
C'est à peine si tu attends la réponse par la négation du jeune homme que tu te glisses parmi les invités pour aller te servir un autre whisky. Ce faisant, tu en viens à croiser la route de la poète russe qui venait de céder la place à d'autres poètes.  "Madame Zakharchuk! Que tu la salues, t'étonnant presque toi-même d'avoir retenu son nom et de ne pas avoir eu la langue qui fourche pour l'écorcher. Il me semble que des félicitations s'imposent pour votre plume..." Que tu enchaines.
S'il était vrai que tu pouvais penser tout le contraire, preuve en était que, parfois, tu pouvais être capable de tenir ta langue, même s'il n'était pas certain que cela se ferait sur le long terme...  

Codage par Libella sur Graphiorum