Cette nouvelle avait fait grand bruit dans le gratin londonien. Un vernissage d'un peintre des armées allait être organisé à l'Académie Royale des Arts. Le vernissage allait être fait en présence des Chefs d'Etat-Major de l'Armée et de la Royale Navy ainsi qu'en présence des officiers aux dents longues visant les hautes sphères de l'armée. Il était de notoriété publique également que les sommes accumulées lors de l'achat des oeuvres d'arts seraient reversées aux orphelins et aux veuves de guerre. Les mondains londoniens allaient se précipiter à ce vernissage pour y depenser leur argent et y gagner en réputation.

Il était du devoir de Frederick de s'y rendre. Ses missions en ce moment étaient surtout protocolaires et comme le dirait plus tard un fameux président français, il inaugurait les chrysanthèmes. Il garantissait les ventes par sa présence et irait remercier lui même les acheteurs. Il avait la réputation d'être un mécène des armées, l'ayant profondément rénovée ces dernières années et améliorant grandement les conditions de vie des soldats. Il avait même fait bâtir l'Académie des Armées formant l'élite des généraux.

Il était habillé de son uniforme militaire comme à l'accoutumée, sa tenue de sortie habituelle. L'évènement avait déjà commencé depuis une petite demie heure lorsqu'il arriva dans le grand hall de l'Académie des Arts. Un chambellan annonça à haute voix:

"Son Altesse Royale le Prince Frederick, Comte d'York et d'Albany, Duc d'Ulster, Commandant in Chief of the Forces !""

Il salua d'un hochement respectueux de la tête les hommes et les femmes faisant leur plus belle révérence devant lui.

Dans une atmosphère tamisée, éclairée par des lueurs douces, Lord Byron Seymour parcourait les galeries l'Académie Royale des Arts à laquelle il avait été invité. Un artiste militaire renommé à ce qu’il en avait entendu.

Alors qu’il se frayait un chemin entre les œuvres, son regard fut captivé par un tableau qui semblait émettre une aura singulière. Il s'arrêta devant lui, attiré par la lumière qui semblait danser sur la toile.

C’était une ouvre d’une taille imposante, occupant une place centrale dans la galerie. Ses dimensions généreuses semblaient envelopper le spectateur, l'invitant à plonger dans l'univers qu'elle dépeignait.

Le tableau dépeignait une scène de bataille.

Au premier plan, le combat se déployait avec une intensité presque palpable. Des soldats, étaient figés dans des poses dynamiques qui évoquaient le mouvement et l'action. Certains brandissaient des épées ou des billonnettes, prêts à se jeter dans la mêlée, tandis que d'autres rechargeaient des fusils.

Les détails étaient stupéfiants : les plis des uniformes semblaient animés par le vent, les reflets de la lumière sur les armes à feu étincelaient avec une brillance presque réelle. Chaque visage était un tableau en soi, exprimant une gamme d'émotions allant de la détermination farouche à la peur viscérale.

Ce n'était pas seulement la maîtrise technique qui impressionnait Byron, mais aussi la profondeur de l'expression artistique. Il pouvait presque sentir le frisson de l'adrénaline qui parcourait les veines des soldats, le poids oppressant de la responsabilité qui pesait sur les épaules des commandants.

En arrière-plan, le champ de bataille s'étendait à perte de vue, peuplé de fumées tourbillonnantes et d'éclats d'obus. Des cavaliers galopaient à travers la confusion, leurs montures puissantes soulevant des nuages de poussière derrière elles. Des canons crachaient des flammes, illuminant la scène d'éclats orangés.

Mais ce qui rendait vraiment ce tableau remarquable, c'était l'émotion qui s'en dégageait. À travers chaque coup de pinceau, on pouvait sentir la tension palpable, la peur mêlée à la bravoure, la tragédie de la guerre. C'était comme si l'artiste avait réussi à capturer l'essence même de l'expérience humaine dans toute sa complexité. Car malgré le chaos de la bataille, il y avait une harmonie dans la composition du tableau.

Byron eut l’impression de vivre une expérience transcendante. Il pouvait presque sentir le pouls de l'histoire battre à travers la toile, l'appel à l'aventure et à la grandeur mêlé à la sombre réalité de la guerre. Il sentit son cœur battre plus fort alors qu'il contemplait cette œuvre. Les couleurs vives contrastaient avec les tons sombres du champ de bataille, créant une atmosphère saisissante de tension et de détermination.

Avec attention, il scrutait chaque détail avec une intensité croissante. Il pouvait presque entendre le bruit des canons tonner, sentir la terre trembler sous le poids des cavaliers qui chargeaient. C'était comme si le tableau avait le pouvoir de transcender le temps et l'espace, transportant celui qui le contemplait au cœur même de l'action.

Il n’avait aucun doute que ce tableau resterait gravé dans sa mémoire. Il le lui fallait. C’était une évidence. Aussi n’attendit-il pas longtemps avant de s’adresser à un valet qui se tenait dans la salle.

Quand commence la mise à prix pour ce tableau ?

Ce vernissage n'avait rien d'un vernissage classique. Il s'agissait d'un puissant outil de propagande militaire. Depuis quelques années la suprématie de la Royal Army et de la Royal Navy avait été mise à mal par les victoires successives de Napoléon. La victoire inespérée de l'Amiral Nelson avait permis à la Royauté de sauter sur l'occasion pour sacraliser l'amiral détenteur de la victoire. D'ailleurs un immense portrait de l'Amiral criant un ordre sur son navire alors que les boulets fusent de part et d'autres de lui est un des chefs d'œuvre de ce vernissage. La bouche ouverte, le sabre en l'air, le pistolet dans l'autre main, il était un portrait inhabituel. Des portraits d'amiraux et de généraux il y en avait eu des centaines et ils étaient habituellement dépeint tranquillement assis dans un moelleux fauteuil en cuir, l'air grave et sérieux bardés de toutes les décorations.

Le peintre s'était surpassé la et les conversations allaient bon train entre les officiers se promenant entre les oeuvres avec une coupe de champagne à la main. Frederic avait d'abord du serrer la main à des dizaines d'officiers supérieurs essayant de retenir qui était qui à chaque fois. Heureusement, les uniformes facilitaient les choses, il pouvait aisément reconnaître le régiment et l'arme des officiers et cela était d'une aide précieuse. Il y avait quelques vétérans des combats vécus par Frederick et avec ces hommes là il était beaucoup moins protocolaire et une amitié fraternelle forte liait les hommes au point qu'ils s'appelaient tous par leur prénom sans prendre en compte le statut du Prince d'York. Du moins officieusement.

Frederic avait néanmoins réussi à s'éclipser pour aller enfin admirer les œuvres. Seul dans un recoin de la grande salle accueillant le vernissage il regardait un homme seul s'enthousiasmer sur une des œuvres. Frederick avait aussi flashé sur cette dernière et il l'avait réservé pour qu'elle orne la salle d'arme de Clarence House. L'homme demande à l'un des valets quelle était la mise à prix. Avec un sourire en coin Frederick se permit d'intervenir.

- Monsieur, vous me voyez désolé mais cette oeuvre est déjà reservée.

Si concentré qu’il était sur l’objet de son attention, Byron gardait son regard fixé sur le tableau pendant qu’il attendait la réponse à sa question. Mais ce ne fut pas le page qui lui apporta l’information qu’il voulait. A vrai dire la réponse qu’il voulait ne vint jamais. Un autre homme qu’il n’avait ni vu ni entendu s’approcher tant il n’avait d’yeux que pour cette œuvre d’art lui adressa la parole.

- Monsieur, vous me voyez désolé mais cette oeuvre est déjà reservée.

A l’écoute, les sourcils du jeune Marquis se rapprochèrent en une expression à la fois surprise et exaspérée. Cette voix déjà lui disait quelque chose. Son propriétaire lui était-il connu ?

Puis son esprit fit le lien. C’était un soir il n’y avait pas si longtemps. Le dernier bal des débutantes auquel il avait assisté. Bien sûr ! Il s’agissait de ce roitelet aux habits scintillants qui s’était

Le Prince Prince Frederick. Byron n’en était que peu surpris d’ailleurs, il lui semblait qu’il avait entendu Sa Royauté se faire annoncer il y avait quelques instants alors qu’il était encore dans la salle principale à se balader parmi les tableaux mis en avant en première loge.  

Pour peu que le Prince lui-même ait un vague souvenir de leur rencontre au bal, les présentations n’avaient nul besoin d’être.

Lorsqu’il apparut clair que la réflexion était faite pour lui faire comprendre que l’achat du tableau risquait de lui passer sous le nez le Marquis sentit la moutarde lui monter au nez.

Plait-il My Lord. Répondit Byron, sans prendre la peine de faire justice au titre de son interlocuteur. Je ne vois ici nulle mention d’une réserve. Auriez-vous l’obligeance de me dire qui est l’individu qui aurait la prétention de passer outre les règles de bienséance d’une vente aux enchères ? J’espère ne rien vous apprendre en disant que le tableau appartient à celui qui mise le plus haut.