Ma cousine Claire de Kersaint venait de se marier, le 27 novembre 1797. Quelques jours plus tôt, j’apprenais par un courrier de Rome que Sa Sainteté le pape m’avait nommé évêque d’Antioche de Pisidie, afin d’être fait nonce apostolique en Turquie. Mais seulement in partibus infidelium, « dans les terres infidèles ».

Ma mère aurait aimé un véritable évêché, pas un disparu car le Croissant régnait où, jadis, saint Paul et saint Barnabé avaient prêchés dans la synagogue pour annoncer la résurrection du Seigneur. Je quittais Londres le 6 janvier 1798. Après un mois en voiture, j’étais enfin arrivé à Sienne, où les troupes françaises avaient déporté le vicaire du Christ, qui était malade. Je devais recevoir l’ordination une semaine plus tard des mains de trois évêques, et c’est durant cette période que S. S. me convoqua en audience privée.

— Monseigneur d’Antioche, m’accueillit-Elle quand j’entrais dans son bureau, car il était de coutume d’appeler un évêque par le nom de son diocèse. Je baisais son anneau du pêcheur, puis Elle m’invita à s’asseoir. Vous savez que les relations françaises et ottomanes sont difficiles, continua-t-Elle : le traité de Campo-Formio, signé en octobre dernier, cède à la France les comptoirs grecs qui appartenaient à la république de Venise, dans l’espoir de contrôler la Méditerranée. Votre mission, si vous l’acceptez, est d’être le nonce apostolique en Turquie : l’alliance impie avait donné une protection supplémentaire aux fidèles du Christ, mais j’ai entendu que les récents événements provoquèrent des heurts contre des Français et des chrétiens.
— Ils ne sont pas prêts de cesser, je crois : sur la route vers Votre Sainteté, on a murmuré que le général Buonaparte avait quelques ambitions en Égypte.
— Ainsi, Monseigneur, je vous envoie pour deux choses : la première, montrer aux mahométans que l’Europe est restée fidèle à son baptême et s’oppose aux velléités du général Buonaparte ; la seconde, veiller à la condition des chrétiens ottomans et des Français.

Je partis aussitôt ordonné et mis une quarantaine de jours pour relier Sienne et Constantinople par la mer. Le 26 mars 1798, fête de saint Gabriel Archange en Orient, je voyais enfin la baie de Constantinople ! Nous étions tous loin de nous douter que le félon Buonaparte avait reçu les financements des Directeurs pour sa campagne d’Égypte, au début du mois. Tandis que l’on déchargeait les premières affaires, je demandais à mon interprète (ayant un turc encore boiteux) qui était mon hôte :
— Il s'agit d'un prince, frère du Grand Turc : @Cevdet Sayyid Öztürk. Il est légèrement plus jeune que vous, Monseigneur. On le dit francophile, de belle éducation et homme fort.

J'étais très satisfait de cette description. Je ne demandais plus qu'à voir.