La famille de Nangis s’était illustrée dans les Croisades et avait disparu faute d’héritiers mâles pour perpétuer sa race. La descendance des Nangis s’était transmise dans différents noms, parmi lesquels la famille de Kersaint, des nobles Bretons. On pensait le nom perdu à jamais, mais c’était sans compter sur la bonté de l'abbé de Rothelin. Charles d'Orléans de Rothelin n'était pas un grand amateur de femmes. Baronne, comtesse, lingère, actrice… Elles pouvaient toutes le séduire, il restait de marbre.

Louis quinzième avait couché avec trois des cinq sœurs de Mailly-Nesle, et la quatrième, duchesse de Lauraguais venait d'arriver à Versailles comme nouvelle maîtresse-en-titre. L'aînée, la comtesse de Mailly, fut supplantée par sa sœur la comtesse de Vintimille en 1739, elle-même supplantée par ses cadettes, les duchesses de Châteauroux et Lauraguais.

Sa Majesté aimait toute chose nouvelle et avait rendu visite à Madame de Lauraguais pour un nouvel arrivage de produits en provenance de Turquie, éternelle alliée de la France. L’œil vif de Sa Majesté fut attiré par ceux d’une jeune femme de vingt-trois ans (il était lui-même soixantenaire) qui n’avait jamais paru à la Cour auparavant. — Celle-là, dit Madame de Lauraguais, s’appelle Madeleine de Kersaint. Sa famille n’est pas riche et elle m’a demandé, par amitié, de la prendre sous ma protection afin de lui assurer un avenir.

Au retour du printemps, à l'époque où les rois se mettent en campagne, Sa Majesté envoya ses gens en expédition, avec la mission de ramener la jeune Mademoiselle de Kersaint dans les cercles de Versailles. Un soir, l'abbé de Rothelin s'en alla marcher en compagnie, pour profiter de l'air frais. De là, il aperçut Mademoiselle de Kersaint en train de se baigner. Elle était fort charmante, mais il ne la reconnue pas car elle lui tournait un peu le dos. L'abbé fit demander qui elle était, et on lui répondit : « Mais c'est Mademoiselle de Kersaint, la protégée de Madame de Lauraguais ! » Alors l'abbé envoya ses gens la chercher. Elle vint chez lui, il coucha avec elle ; après quoi elle s'en retourna chez sa protectrice au petit matin.

Mademoiselle de Kersaint devint enceinte et l’apprit à la duchesse. Cette dernière écrivit un billet affolée à Sa Majesté, qui lui promit de lui trouver une solution au plus vite. L'abbé de Rothelin était chroniquement malade et il voulait éviter que sa maîtresse soit dans une mauvaise posture s'il venait à subitement mourir. Madame de Lauraguais intercéda auprès du roi qu'une pension soit versée à Mademoiselle de Kersaint… En échange de ne plus paraître à la Cour. La famille de Kersaint éloigna cette honteuse fille, qui épousa un financier après avoir été accouchée dans un couvent.


Donc Mademoiselle de Kersaint conçu et fut accouchée d’un fils, qu’on appela Louis-Alexandre. Il mena une vie paisible comme fils naturel d'un abbé, qui mourut paisiblement en 1744 sans avoir été trop inquiété pour cette débauche. Louis-Alexandre mit du temps avant de se ranger à vingt-cinq ans, avec une demoiselle qui était depuis longtemps demeurée sans alliance elle aussi. Ils eurent d’abord deux fils avant que naisse Louis Hyacinthe Olivier, le 3 mars 1765.

Olivier vit auprès d’une mère et d’une grand’mère attentives à son éducation. Son père s’occupe de sa charge au Parlement de Paris et ne revient qu’une semaine par mois. Homme aimable mais sec, il resta (comme de nombreux nobles en son temps) un immanquable libre-penseur ; en ce temps-là, la dévotion religieuse n’était guère à la mode. Pour le moment, bien que MM. Diderot et d’Alembert connurent plusieurs déboires avec leur Encyclopédie, on s’émerveille des nouvelles idées qui mettent bien à mal l’ordre traditionnel du monde. La mode est aussi aux turqueries depuis Louis le Grand : Voltaire, qui s’est retiré en son château de Ferney, transformé en la Rome des philosophes, avait utilisé ce stratagème avec ses contes et ses pièces pour attaquer l’Église. Montesquieu avait aussi fait jaser pour l’impiété de ses Lettres persanes. L’Alcoran traduit par Du Ryer un siècle plus tôt commençait à être daté. Olivier adorait aussi Mademoiselle Poulain et sa Comtesse de La Rivière, Rousseau et sa Julie, Goethe et son Jeune Werther… Il ne lut pas Les Liaisons dangereuses ni Clarisse Harlove, car ces portraits charges sur la noblesse de son temps étaient beaucoup trop sulfureux.

En qualité de benjamin, Olivier n’avait pas grand avenir : l’aîné Marc-Antoine reprendrait la place au Parlement, tandis que le cadet Louis-Anne s’illustrerait à l’armée. Madeleine de Kersaint, plus sage que du temps où elle était demoiselle, incita son fils à penser à l’avenir d’Olivier : « Il a quinze ans et n’a jamais aimé une femme, dit-elle, il faut le faire évêque ! » Ainsi, Olivier intégra le séminaire parisien Saint-Sulpice ; en 1770, l’illustre Talleyrand, depuis évêque d’Autun, y était entré à contre-cœur. Olivier se lie d’amitié dès le premier jour avec Pierre Blosse, un condisciple d’un an son aîné. À tout élève il faut un confesseur : Olivier prend le même que Pierre, le P. Urbain, professeur de Littérature.

En revanche, Olivier s’entend peu avec Paul Bach, meilleur ami de Pierre avec lequel il entre en concurrence durant les cours de Théologie, dispensés par le directeur, P. Armand-Marie. Un jour d’étude, Pierre délaisse un poème manuscrit dans le bureau de l’étude ; Olivier se complaît à sa lecture de ce poème, mais s’agaçe qu’il était de Paul Bach. En le relisant, le jeune Kersaint se rend compte que cette lecture est moins sage qu’il n’y parait au premier coup d’œil, et est choqué de son ambiguïté. Il va se confesser au directeur directement, qui transfère l’imprudent Paul dans un autre séminaire. En revanche, il se garde bien de révéler qui était le destinataire du poème.


Pierre pleura beaucoup cette perte, et Olivier ne compris pas comment on pouvait autant souffrir de la perte d’un ami : « Tu ne comprends pas le sentiment qui peut unir deux personnes profondément. » Un mois passe. Olivier se rend compte que chaque fois qu’il est question de Paul, ce n’est pas la jalousie habituelle qui animait son cœur ; mais il ne savait pas ce que c’était précisément. Petit à petit, il réussit à le remplacer dans le cœur de Pierre. À la sortie du séminaire, le jeune Kersaint sait que sa trajectoire ne serait pas la même que celle de Pierre : la Noblesse au haut clergé, le Tiers-État au bas clergé.

Après avoir présenté chacun leur thèse à la Sorbonne, Olivier dit à Pierre : « Je te ferais vivre avec moi, comme ça tu ne serais rien qu’à moi. » Un jour qu’ils sont ensemble, le P. Urbain les découvrit amicalement. Comme ils sont l’un trop près de l’autre à son goût, il les sépare tout de suite : « Ne savez-vous pas que ces choses sont interdites ?! C’est une vie de péché et de culpabilité qui vous attend si vous n’entretenez pas une relation plus chaste ! » Le P. Urbain le savait très bien : voilà vingt ans qu’il était intime avec le P. Armand-Marie. Pierre comprit tout de suite ce que cela voulait dire, mais Olivier ne le comprit que plus tard.

En 1780, Louis-Anne de Kersaint meurt durant la guerre d’indépendance américaine, à laquelle la France prit part. À vingt-quatre ans, Olivier et Pierre virent s’ouvrir les États généraux afin de régler les crises en France. Avec la majorité du clergé, les jeunes hommes se rallient au Tiers et assistent au serment du Jeu de paume. Ils suivent avec euphorie les réformes de la révolution et saluèrent la fin des privilèges durant la nuit du 4-Août. Lorsque Talleyrand propose la nationalisation des biens du clergé pour renflouer les caisses de l’État, ils se sentent trahis.

La fuite à Varennes de la famille royale, en juin 1791, et la constitution civile du clergé, entrée en vigueur en décembre, brise leur union : Pierre jura fidélité à la constitution et perdit espoir en la monarchie. Olivier ne pouvait accepter de renier sa famille et sa fidélité au pape : afin d’éviter ce qui pouvait les menacer en raison de leur noblesse, les Kersaint partirent en Émigration en été 1792.


Mais où partir ? Les frères du roi et de grands courtisans étaient en Italie. Le prince de Condé et d'autres nobles avaient fuit dans les Pays-Bas autrichiens et le Saint-Empire : le quartier général de l’armée des Princes émigrés était à Coblence. Les Kersaint ne prirent que leur nécessaire, expédiant ensuite le reste par voitures de poste. Mais en raison des tensions avec les monarchies étrangères, certaines valises restent plusieurs semaines aux douanes. On s’installe comme on peut ; dans les salons, on accueille le vicomte de Chateaubriand qui s’est finalement décidé à migrer.

La peur de l’invasion austro-prusienne conduit aux massacres de septembre 1792, afin de purger Paris et la France des ennemis du peuple, des ennemis de la République. Olivier voit ses évènements en tremblant et remercie la lucidité de ses parents d’avoir quitté la France à temps. Il participe à la rédaction de pamphlets et de lettres enflammées contre la révolution ; ses sermons à l’église sont aussi connu pour être plein d’âme et de verbe. On raille Madame de Staël, qui avait condamné la lâcheté des princes dans l’enthousiasme de la Révolution, avant de fuir Robespierre avec d’autres personnalités révolutionnaires libérales.

Les condamnations à mort du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette en janvier et octobre 1793 marquèrent les esprits. Madeleine de Kersaint meurt de chagrin avec l’Ancien Régime ; malgré les précautions de Madame de Lauraguais, sa vie connut un tour tragique. Louis-Alexandre, vieil homme, et Marc-Antoine, d’âge mûr, vont à la guerre et y meurent tous les deux en 1794. Olivier et sa mère, qui étaient les seuls membres restant de leur famille directe. En 1795, Olivier entend que le marquis de Nangis mettait en vente son domaine, ayant fait banqueroute. En raison de la loi de décembre 1793 mettant à disposition de la Nation les biens des « ennemis de la Révolution », le jeune Kersaint réussit par un prête-nom à acheter la terre de Nangis et pour que sa mère profite de l'usufruit.

Mais le titre reviendraient à la famille de Duras, émigrée en Angleterre. En effet, sa cousine Claire de Kersaint, fille d’un conventionnel guillotiné sous la Terreur, avait épousé le duc de Duras en 1797. La même année, le pape Pie VI nomme Olivier évêque in partibus d’Antioche de Pisidie, pour sa fidélité sans faille à la religion et à la monarchie, ainsi qu’à ses vœux religieux — du moins on le croyait et Olivier n’en démentait pas —, afin de le nommer nonce apostolique auprès de la Sublime Porte.

Le coup d’État du 18 brumaire 1799 l’amusa d’abord : preuve en était que ces siècles de monarchies étaient plus stables que ces années de révolutions. Mais celui de 1804 le mit tout à fait en rage : le général Bonaparte est un usurpateur et seuls les Bourbons sont légitimes à être souverains de France. Olivier proteste vivement contre l'invasion de l'empire durant la campagne d’Égypte. Pour cette raison et contrairement à Madame de Duras, il ne demande pas à rentrer au pays lorsque le sénatus-consulte d’avril 1802 amnistiant les Émigrés est publié.


Olivier avait enlevé tout ce qui rappelait l’Ancien Régime, comme tout le monde : adieu perruques poudrées, bonjour vrais cheveux. Une jolie calvitie couronnait sa tête. Arrivé à quarante-cinq ans, il n’avait pas cessé de soutenir le retour de Louis XVIII en France et renverser la république puis Napoléon Bonaparte. Olivier et plusieurs autres furent amers que l’attentat royaliste de la machine infernal de 1800 manqua le petit caporal, et encore plus amers quand celui-ci coupa court aux négociations pour le retour des Bourbons.

À la mort de sa mère en 1806, Olivier fut prié par Louis XVIII de venir en sa résidence de Kalmar, en Suède. Pour le remercier de son soutient inconditionnel depuis tant d'années, il fit d'Olivier son protégé et toléra qu'il utilise le titre de courtoisie de « prince » de Nangis, en qualité de descendant de la Maison d'Orléans-Rothelin. L'alliance franco-russe obligea Louis XVIII à partir de nouveau en exil : contre la promesse de se tenir tranquille et que le gouvernement britannique ne le reconnaisse pas comme souverain de France, le frère de Louis XVI débarqua en 1807 à Londres. Confiné au château d’Hartwell, dans le comté de  Buckingham, Louis XVIII l’envoya comme agent à la Cour britannique afin de se tenir au courant de la politique européenne.

Je te remercie d'avoir pris le temps de discuter avec moi pour être plus dans les clous ^^
Je peux enfin te valider ! Olivier a du potentiel et j'ai hâte de le voir en rp.

Validée par Georges/Jade

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